mardi 2 mars 2010

Frankenstein, Mary Shelley

Car avant d'être Boris Karloff, la créature du Docteur Frankenstein était le héros d'un bouquin, le résultat d'un jeu, le prétexte à des interrogations philosophiques sur l'homme.

Le livre est une suite de récits qui s'imbriquent : un capitaine de navire écrit à sa soeur pour lui rapporter le récit du Dr Frankenstein qu'il a recueilli à bord. Et dans le récit du Dr, d'autres personnages prennent régulièrement l'énonciation, le point culminant étant le récit du monstre (appelé souvent "démon"), moment le plus fort, le plus émouvant.

Ces poupées russes renforcent l'impression que cette histoire est une étude de l'espèce humaine, en général, à travers ces personnages particuliers : c'est une histoire qui touche trop de monde, qui traverse trop de strates différentes pour qu'elle ne soit qu'un récit sans prétention philosophique.

Il y a tout d'abord le Docteur, un homme qui se prend pour Dieu dans un accès d'arrogance. Pourquoi créer la vie ? Parce qu'il le peut. Tout simplement. Une réaction hautement humaine qui ne cesse de m'interroger.
Son acte a des conséquences désastreuses, comme souvent lorsque l'homme se livre à ce genre d'exploration de ses possibilités en n'accordant qu'un minimum d'attention aux conséquences de ses actes (et oui, on peut parler ici du nucléaire).

La créature : avide d'amour et de savoir. Sans avoir demandé à être créée, elle est rejettée par les hommes à cause de sa différence. Et elle devient mauvaise. ("Dois-je donc passer pour le seul criminel, alors que l'humanité entière a péché contre moi ?" GF, 1979, p. 318)

La nature : car oui, on l'aura deviné, le rousseauisme n'est pas loin. La nature est omniprésente dans ce roman romantique. Elle est mauvaise (l'hiver est dur quand on vit dehors) et elle est bonne (le printemps est si doux après l'hiver) tour à tour, impartiale, pour les êtres et les monstres.

Les hommes enfin : ils sont mauvais en société (pensons à la scène du procès de Justine). Ils sont bons lorsqu'on a affaire à un individu (Elisabeth, le capitaine dans sa cabine, l'enfant...) La famille est douce quand on la voit de l'extérieur, mais on ne peut y rentrer car l'inconnu, l'étranger, la différence, est rejetée violemment par la famille, ainsi que par les êtres bons (l'enfant a eu peur de la créature).

Mary Shelley a écrit ce livre à l'âge de 19 ans... Elle a une jolie plume quoiqu'un style un peu lourd parfois. Les relations sentimentales sont plutôt naïves, mais qu'importe, ce n'est pas le sujet du livre. La genèse de son histoire, racontée dans l'appareil critique, vient de vacances au bord d'un lac à Genève qu'elle passe avec son compagnon, le poète Percy Shelley, et Lord Byron et sa compagne Claire Clairmont (la soeur adoptive de Mary). C'était en 1816, ces amants n'étaient pas mariés (ou bien mariés avec une autre femme que celle qu'ils ont mise enceinte), et ils se balladent en bateau, discutant les théories philosphiques de l'époque, argumentant sur les progrès de la science et... se racontant des histoires de fantômes autour du feu. Ils ont tous convenu d'écrire à leur tour un récit pour faire peur. Et Mary Shelley, retournant dans sa tête tout ce qu'elle avait entendu, impressionnée visiblement par Lord Byron, et aiguillonnée par son imagination fertile, écrit Frankenstein.

Je n'ai pas lu ce livre comme un récit d'horreur, la créature n'est pas effrayante. Mais l'histoire est tellement pessimiste...
Le navire est menacé de perdition car le capitaine a eu la folie de vouloir explorer des terres inconnues. Le capitaine écrit à sa soeur, mais elle ne lira jamais ces lettres. Le récit de Frankenstein est tombé dans l'oreille d'un sourd : l'orgueilleux capitaine refait les mêmes erreurs que lui. Le récit de la créature à son créateur ne l'avait pas ému. Et c'est à cause de cela que sa femme meurt et que la fin du roman sombre dans l'horreur. Personne n'écoute personne, personne ne comprend personne. Peut-être est-ce cela, l'horreur d'être humain.

Je propose une idée d'adaptation cinématographique du bouquin, tel que je l'ai lu : le passage le plus représentatif serait à mon sens la course poursuite finale, avant que le Docteur Frankenstein ne soit recueilli par le navire. Le créateur poursuit sa créature, qu'on ne verrait jamais à l'écran (parce que franchement, le masque avec le clou qui dépasse du front à la Pinhead c'est vraiment ridicule). Mais la nature serait omniprésente, et les rencontres avec les hommes qui ont vu la créature permettrait au spectateur de découvrir peu à peu cette dernière et de reprendre les interrogations philosophiques de Mary Shelley qui sont, je le répète, le point fort du bouquin, beaucoup plus à mon sens que la relation créateur-créature.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Faut dire aussi que Isaac Asimov parle de se livre... Et aussi, que le pire cauchemarde d'un écrivain est que sa femme, jeune conne de 19 ans, puisse être plus célèbre que lui, ce qui est arrivé avec cette jeune écrivaine. Intéressant comme article.

louise miches a dit…

Effectivement, de ce que j'en sais, Asimov a pris pour contre-modèle le rapport créateur/créture dans Frankenstein pour imaginer ses Trois lois de la robotique.
Un parallèle entre Percy Shelley/Mary Shelley et le Docteur Frankenstein/sa créature ? Amusant, du coup, de repenser au bouquin sous cet angle...

Anonyme a dit…

Exactement. Il le dit lui même dans la préface je crois me souvenir. Mais c'est même très biblique comme vision, le créateur/dieu qui fait la créature, l'Homme. On peut retourner le problème dans tous les sens, je pense que Isaac Asimov a été inspiré de cette histoire et qu'il en a été la continuité. Je crois qu'il le dit lui même.
Je vois plus le bouquin comme reprenant les codes de la créature qui dépasse et tue le maître, que comme un parallèle. Dans le sens où se placent avec la SF, comme la suite logique de Frankenstein, c'est comme un roman fondateur.