Cayenne, etc.
L'autre jour, j'ai rouvert Surveiller et punir de Michel Foucault. Je cherchais des idées de supplices pour un ami qui m'embête, et je me souvenais de l'incipit percutant de ce livre. Disciples de Françoise Giroud, ces quelques lignes insoutenables accrochent le lecteur et le piègent en l'entrée de jeu.
Il s'agit de la description de l'exécution publique de Damiens, qui a essayé en 1757 d'assassiner Louis XV. Le crime est grave, et les tortures seront exemplaires. On lui cisaille diverses parties du corps, on le brûle, on sulfate les plaies, on le roue de coups, et on finit par l'écarteler. Pour bien faire comprendre où se situe le pouvoir, ses membres furent brûlés et les cendres dispersées. La maison natale du "parricide" (incrimination officielle) fut rasée, avec interdiction de reconstruire. La famille de Damiens fut chassée du pays.
Si après ça le peuple n'avait pas compris qui était le chef du royaume, c'est à désespérer...
Et c'est effectivement ce que raconte Foucault dans son livre : il est apparu que les désavantages liés à ce type d'exécution publique en surpassent finalement les avantages. La peine se cache.
Foucault le dit mieux que moi, lui qui en plus d'être un intellectuel particulièrement brillant était presque un poète dans ses écritures :
"Le châtiment est passé d'un art des sensations insupportables à une économie des droits suspendus"
Economie, le mot est lâché.
La semaine dernière, au détour d'un livre, j'apprends qu'il existait différents statuts pour les déportés au bagne du XIX° siècle. Je me suis laissé un peu déporter moi aussi, pour punition de ma curiosité, en Guyanne.
(Et bien m'en a prit ! L'En-Dehors soutient que c'est le paradis des anarchistes... Du moins, maintenant que le bagne est fermé...)
Effectivement, entre les déportés, les transportés et les relégués, les statuts étaient multiples. Tout dépendait du "crime" commis, d'où découlait la nature et la dureté de la peine. Enfin, "crime", c'est vite dit. Nous retrouvons là nos amis les anarchistes qui au lieu de se contenter de vivre et de militer tranquillement dans leur coin pour l'amour et la fraternité entre les hommes se sont mis, au XIX°, à poser des bombes partout et à faire sauter des inconnus... Camarades ! La fin ne justifie pas les moyens, laissez ça à ces connards de maoïstes, pour nous tout moyen doit être une fin en soi, hein ? Bref, la Troisième République affolée se mit à pondre une série de lois dites "scélérates", qui interdisaient, entre autres, l'anarchisme. Si je ne m'abuse, elle est toujours en vigueur d'ailleurs, cette loi (comme celle qui interdit aux femmes de porter le pantalon je crois !). Bref, selon une de ces lois, chaque récidiviste, même pour les voleurs de pomme, était envoyé à Cayenne. Une manière comme une autre de nettoyer la métropole...
Et de même que les galériens ramaient, les bagnards non seulement travaillent mais en plus peuplent les colonies. La Troisième République, grand gouvernement colonisateur, enrageait de voir la Guyane péricliter. Vers 1880, il fut donc décidé d'envoyer tous les condamnés là-bas, même les femmes (dans l'objectif qu'elles épousent les bagnards et fassent plein de petits colonisateurs). Les femmes avaient tout de même le choix entre Cayenne ou la Nouvelle Calédonie. De même, en vertu de la loi dite du "doublage", une fois effectuée la peine, les condamnés devaient encore rester un certain nombre d'années, équivalent ou supérieur à la durée de la peine, sur place. Est-ce pendant ces années de "doublage" que Louise Michel mit en place son école pour les petits Kanaks ?
Bref, belle illustration de l'expression : d'une pierre deux coups. On nettoie la métropole et on valorise la politique économique et coloniale du gouvernement.
(pour plus de détails)
Aujourd'hui, on sent bien que le pouvoir (au sens foucaldien) est un peu moins habile dans sa politique d'emprisonnement. Tous les condamnés, politiques, fous ou délinquants, sont enfermés dans des marmites surpeuplées. Nourris et logés à l'oeil, par nos impôts, quel scandale !
Aujourd'hui, un détenu s'est pendu dans sa tôle à Arras. Encore un.
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