samedi 10 octobre 2009

Le Club des Cinq sur les pas des Montreurs d'Ours : Chapitre 5

Chapitre V : L'inconnu de Lanes


Résumé des épisodes précédents : En vacances en Ariège, les Cinq découvrent la passionnante vie locale : les foins, les ours... De plus, les montagnes de la vallée ont la particularité intrigante de clignoter avec des lumières de lampes de poches le soir venu. Claude ne quitte pas Lanes des yeux car elle est incapable de profiter tranquillement des vacances. François est un ennuyeux rabat-joie passionné d'histoire, Mick a déjà pris un ou deux kilos depuis le début de cette histoire, et Annie a la phobie de... choses diverses et variées.


Et effectivement, le soleil du matin commençait à peine à éclairer les cimes des montagnes entourant le village d'Ercé que les Cinq, Dag y compris bien sûr, avaient déjà fini leur petit déjeuner. Ils patientèrent tant bien que mal jusqu'à neuf heures, pour ne pas arriver trop tôt chez Dimitri et son fils. Annie tenta bien de s'enfermer dans la salle de bains au dernier moment, prétextant qu'elle avait « besoin de se pomponner » mais Claude, à qui ces notions étaient étrangères et qui n'était même pas sûre de connaître la différence entre le shampoing et le savon, enfonça la porte et la tira par le bras tout au long du chemin.

La visite chez le montreur d'ours se révéla réellement passionnante. Il habitait un corps de ferme, à l'écart du village et sur les hauteurs. La vue était magnifique, on pouvait même voir le gîte. Les enfants apprirent tout ce qu'il était possible de savoir sur les impressionnants bestiaux qui vivaient presque dans la cour. Dimitri leur raconta l'histoire des « oussaillès », ces montreurs d'ours ariégeois du XIX° siècle qui quittèrent une montagne surpeuplée qui ne pouvait plus les nourrir, pour montrer leurs ours sur les routes d'Europe et, pour certains, jusqu'en Amérique. Il leur expliqua comment les oursons orphelins étaient recueillis, habitués à l'homme, puis comment on leur perçait les naseaux à l'adolescence pour y passer un anneau qui servirait à attacher l'indispensable corde. Annie poussa un cri d'indignation lorsqu'il leur décrivit cette mutilation, hélas nécessaire. Du coup, le petit Jean qui grommelait à l'écart du petit groupe se radoucit en présumant – par erreur – qu'elle partageait son affection pour ses animaux favoris. Ce fut lui alors qui termina la visite, soudain volubile, leur expliquant la différence de mœurs entre les ours sauvages et les deux spécimen qui vivaient avec eux. Ils purent même assister au repas des fauves !

Midi arriva bien vite, et les Cinq avaient passé une matinée instructive et passionnante. Ils avaient également le sentiment de s'être fait de nouveaux amis, en la personne du montreur d'ours et de son fils. Au moment de prendre congé, Claude eut une idée. Dimitri semblait connaître tellement bien la vallée ! Peut-être qu'il pourrait leur en dire un peu plus sur... Elle se décida :

- Pardon Monsieur, pouvez-vous nous dire comment s'appelle cette montagne, que l'on voit juste au-dessus ?

- Ah, celle-ci ? Il s'agit de Lanes, derrière le sommet de laquelle passe la frontière avec l'Espagne.

- Mais... Y a-t-il beaucoup de campeurs, là-haut ?

- Oh non, je ne pense pas. Vous pouvez aller vous promener au pied du sommet, la balade est jolie et pas trop difficile. De plus, il y a plein de buissons de myrtilles ! Au-dessus, la frontière est complètement inaccessible, défendue par des falaises rocheuses extrêmement dangereuses. Seules les chèvres osent s'y aventurer, et encore ! Mes ours n'iraient pas, eux...

Claude se dandinait d'un pied sur l'autre. Mais alors, d'où venait cette lumière, qu'ils avaient aperçue assez haut sur la montagne, quand ils avaient dormi à Fraguet ? Les cousins se regardèrent. Pouvaient-ils en parler au placide montreur d'ours ? Claude était partisane de garder ce secret pour eux et s'apprêtait à faire signe à ses cousins de se taire. Elle avait toujours tout voulu découvrir par elle-même, car c'était bien le propre de l'aventure ! Mais François, décidant de faire confiance à la sagesse de l'adulte, prit la parole et lui raconta tout. Dimitri prit un air grave, mais ce fut Jean qui répondit :

- Ce sont peut-être les contrebandiers !

- Les contrebandiers ? ! répéta Mick, stupéfait.

- Oui, Papa dit que la nuit ils franchissent la frontière espagnole et introduisent de la marchandise illégale et dangereuse en France. De l'alcool, des cigarettes... qu'ils revendent au marché noir !

- Au marché noir ?! répéta Annie, pas très rassurée.

- Au marché noir... répéta Claude, songeuse, une étincelle au coin des yeux.

Le montreur d'ours se méprit sur le ton de sa voix et lui tapota sur l'épaule d'un geste qui se voulait rassurant :

- Ces lumières peuvent très bien avoir une toute autre origine. Et même si les gendarmes ne parviennent pas à mettre fin à cet odieux trafic qui dure depuis des années, il y a peu de chances que vous tombiez sur eux, à moins que vous n'ayez envie de passer la nuit dans les cailloux au sommet de Lanes, à rechercher des malfaiteurs qui se ça se trouve ne passent même pas par là !

Et il partit d'un rire bonhomme, sans se douter qu'il venait d'évoquer aux yeux de Claude les vacances idéales... Les Cinq prirent congé non sans remercier chaleureusement l'homme pour son accueil. Ils promirent à petit Jean de revenir bientôt. Le silence de Claude sur le chemin du retour ne trompait personne. A tel point que François, l'aîné des quatre, anticipa :

- Claudine, il est hors de question que nous tentions de monter là-haut !

Sa cousine lui jeta un regard noir. Elle détestait qu'on l'appelle par son vrai prénom de fille. Mais elle avait visiblement autre chose en tête car elle se dérida rapidement (trop rapidement) et soupira :

- Je me rends bien compte que ce serait trop risqué, François ! Mais je ne comprends pas comment les contrebandiers, eux, parviennent à cheminer entre les falaises de rocher qui menacent à tout moment de s'écrouler !

- Tu as entendu ce qu'a dit Dimitri, objecta Mick. Il y a peu de chances que ce soient les lumières des contrebandiers que nous ayons aperçues l'autre nuit.

- Et que voulais-tu que ce soit ? lança Claude, rageuse. Des chauves-souris qui chassent les moustiques à la lampe de poche ?

- Claude... soupira doucement François qui avait vu Annie pâlir. Tu cherches vraiment la petite bête !

- Exactement ! Les ultra-sons de son radar à aventures sont bien plus perfectionnés que ceux des chauves-souris, sourit Mick pour détendre l'atmosphère.

Si sa boutade fit pouffer son frère et sa cousine, elle n'eut pas l'effet escompté sur Annie, qui gémit :

- Voulez-vous bien arrêter de parler de ces affreuses bestioles ?

Un éclat de rire général lui répondit.

- Bon, lança François, pris de pitié, pour changer de conversation. Que fait-on cet après-midi ?

Claude prit le bras de sa cousine et lui répondit, malicieusement, alors qu'ils arrivaient en vue du gîte :

- Je crois qu'une petite cueillette de myrtilles s'impose, hein Mick ?

Mick adorait littéralement les tartes aux myrtilles de Maria.

Et même si le repas ce midi-là en était dépourvu, il fut délicieux et les quatre enfants y firent honneur. Dagobert aussi, mais plus discrètement, car Oncle Henri refusait que sa fille le nourrisse à table. Claude devait alors redoubler de précaution et mettre en œuvre mille et une stratégies toutes plus ingénieuses et inventives les unes que les autres pour faire discrètement passer à son chien quelques (hum...) reliefs de nourriture. Parfois Maria s'étonnait que ce chien soit si gras alors qu'elle lui préparait chaque jour des gamelles de taille raisonnable et parfaitement équilibrées. Elle n'avait bien évidemment jamais fait part de cette réflexion à la fillette : la dernière personne qui ait dit que Dagobert aurait peut-être un peu de poids à perdre était son instituteur de maternelle à la première rentrée des classes et Claude ne lui avait plus jamais adressé la parole depuis lors.

Après le dessert, en avalant avec nostalgie sa dernière framboise à la crème tout en lorgnant sur l'assiette d'Annie qui n'avait pas encore fini les siennes, Mick évoqua l'idée qu'ils avaient eu d'aller cueillir des myrtilles sur Lanes. Tante Cécile s'inquiéta un peu, mais François lui assura d'une voix posée que Dimitri leur avait indiqué les coins les plus faciles d'accès et les mieux fournis. Ils obtinrent l'autorisation et, une fois la vaisselle expédiée, ils se mirent en route.

La montée ne fut pas aussi aisée que l'avait laissé entendre le montreur d'ours. Il avait grandi dans cette vallée, certainement était-il plus habitué qu'eux à gravir des pentes. Ou bien sa cuisinière était moins talentueuse que Maria... En chemin, les enfants rencontrèrent à nouveau le vieil éleveur et ses deux fils, qu'ils saluèrent familièrement et avec qui ils échangèrent quelques paroles de politesse. Les hommes de la montagne étaient toujours occupés à faucher les prés pour rentrer du foin en prévision de l'hiver. Mick était impressionné par la quantité de travail que ça représentait.

- Tu serais encore plus impressionné par la quantité de foin qu'une vache peut avaler en une journée, lui glissa Claude qui avait l'habitude de visiter les fermes de sa Bretagne natale.

Cette courte pause en compagnie d'Albert, Patrice et Joël fut la bienvenue, et les Cinq repartirent plus gaillardement à l'assaut de Lanes. Ils arrivèrent peu après en vue du fameux sommet rocheux. D'où ils étaient, il paraissait effectivement inaccessible. Claude regardait partout avec attention et poussa ses cousins à la suivre encore sur quelques mètres. Elle nourrissait peut-être le secret espoir de découvrir un chemin caché, ou une planque de marchandises volées ? Toujours est-il que même elle dut s'avouer vaincue, lorsque l'ascension s'avéra trop dangereuse pour être poursuivie. Annie avait déjà dérapé par deux fois sur les graviers et elle s'était un peu tordu la cheville.

De dépit, les quatre enfants se rabattirent avec une férocité sauvage sur les buissons de myrtilles, dont l'abondance même était un défi à l'estomac de Mick. Le plus discrètement possible, ce dernier en avalait d'ailleurs beaucoup plus qu'il n'en mettait dans les pots qu'Annie avait pris soin d'emporter à cet effet. Tout à son bonheur d'être en balade avec ses petits maîtres, Dagobert, à défaut de lapins qui ne vivaient pas à ces altitudes, courait après les papillons. Petit à petit, il s'enhardissait et s'éloignait de Claude sans que celle-ci s'en aperçoive. Ayant remarqué le manège de son cousin, elle était bien trop occupée à surveiller son appétit vorace qui risquait de compromettre le dessert de ce soir.

Soudain, un aboiement lointain, trop lointain, fit sursauter la fillette. Elle redressa la tête vivement mais n'aperçut son chien nulle part. Arrachant Mick à l'idée qu'il se faisait du paradis, allongé de tout son long entre des buissons particulièrement bien chargés, elle appela :

- Dag ! Ici ! Dago ! Où es-tu ?

D'autres aboiements lui répondirent, de derrière un piton rocheux à une cinquantaine de mètres d'eux. Les enfants se précipitèrent aussi vite que le sol inégal et caillouteux le leur permettait. Avant qu'ils aient pu en faire le tour, ils entendirent à leur plus grande horreur Dagobert émettre un gémissement plaintif. Claude accéléra en dépit du risque de s'étaler sur les pierres coupantes, dépassant ses cousins. Toute à son inquiétude, elle faillit rentrer dans un homme qui descendait à grands pas de la montagne rocheuse, son pied sûr et sa démarche rapide indiquant qu'il connaissait certainement le chemin. Hors d'elle, la fillette cria bille en tête :

- Qu'avez-vous fait à mon chien ?

L'homme était grand, basané. Claude devait lever la tête pour apercevoir son visage, d'ailleurs habilement dissimulé. Il avait un chapeau sombre qui lui descendait sur les yeux et le col de sa cape remonté. Ses vêtements, solides et pratiques, étaient usés, et il avait de grosses chaussures de marche, ainsi qu'un lourd bâton à la main. Ses yeux noirs dans lesquels brilla un instant un éclair de menace s'accrochèrent quelques secondes à ceux, bleus, de l'enfant, puis il haussa les épaules et continua son chemin, bousculant sans ménagement François qui était sur sa route. Claude ne prit même pas la peine de s'indigner. Elle se précipita vers son chien, qui était resté à distance raisonnable du mystérieux inconnu. Elle fut soulagée, ainsi que ses cousins qui arrivèrent après elle auprès du brave animal, de constater qu'il semblait aller bien. Il n'avait qu'une petite éraflure sur le flanc. Nonobstant, Claude décréta qu'il fallait d'urgence le descendre chez le vétérinaire et fit mine de vouloir porter Dagobert. Cela fit à peine sourire les autres, encore impressionnés par leur rencontre avec l'homme ténébreux aux yeux si froids. L'heure et l'humeur n'étant plus à la cueillette, ils redescendirent en silence.

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