dimanche 25 octobre 2009

Le Club des Cinq sur les pas des Montreurs d'Ours : Chapitre 7

Chapitre VII : Claude passe à l'action

Résumé des épisodes précédents : Persuadés d'avoir localisé les contrebandiers (protégés par une redoutable meute de chiens qui bavent), les Cinq tentent de jouer la carte gendarmes. Ils se sont faits proprement humilier.


Ce fut paradoxalement à la suite de cette déprimante tentative que tout s'accéléra. Couchée dans la petite chambre qu'elle partageait avec sa cousine, Dagobert sur ses pieds, Claude fixait le plafond. Elle écoutait la respiration calme d'Annie mais ne parvenait pas à trouver le sommeil. Son fidèle chien ne dormait pas non plus, évidemment. Dans sa tête tournaient des images, des pensées... Et l'inaction la rongeait... Cette visite aux gendarmes lui ressemblait si peu : Claude était une fillette décidée et irréfléchie, et elle avait une réputation à tenir ! Alors elle prit comme de juste une décision irréfléchie et élabora en quelques secondes un plan extrêmement dangereux et totalement inutile.

Aussi silencieuse et discrète que Mick qui se faufile dans la cuisine pour une fringale nocturne, elle se lève, s'habille et se dirige vers la salle de bains, un Dagobert étonné sur ses talons. D'un geste, elle intime l'ordre à son chien de ne pas faire de bruit. Dans l'armoire à pharmacie, elle trouve ce qu'elle était venue y chercher : la boîte de somnifères tranquillisants surpuissants que son père emportait toujours lorsqu'il partait en vacances avec sa fille et ses neveux. Elle la glissa dans la poche de son pantalon puis descendit sur la pointe des pieds à la cuisine. Quelques minutes plus tard, sa silhouette sombre et souple émergea de la fenêtre et sauta dans le jardin. Le fidèle Dagobert, bien qu'excité par cette promenade inattendue, ne poussa pas un jappement lorsqu'il la suivit sur la route de Lanes...

Au gîte pourtant, quelqu'un d'autre ne dormait pas. François, totalement remis de l'humiliation de sa visite aux gendarmes, s'était brusquement souvenu qu'il n'avait pas fait son exercice du jour dans son cahier de vacances. Il alluma donc la lampe de poche sous ses couvertures. C'est le devoir accompli, lorsqu'il se recoucha, qu'il entendit Claude marcher dans le couloir. Elle aussi avait du mal à dormir, songea-t-il. Avec tous ces événements, aucun d'entre eux n'avaient eu le temps de faire leurs devoirs quotidiens, certainement que sa cousine était allée travailler dans la salle de bains pour ne pas réveiller Annie... Un bon quart d'heure plus tard, n'entendant pas sa cousine revenir dans sa chambre, François commença à avoir des doutes... Et si Claude peinait – comme d'habitude – sur ses mathématiques ? Le jeune homme suivant une classe supérieure à la sienne, il se sentait comme un devoir d'aller aider sa cousine à finir ses devoirs, pour qu'elle puisse enfin dormir comme lui du sommeil du juste. Il se dirigea alors vers la salle de bains, où il ne trouva personne. Descendant les escaliers, il explora alors la cuisine. La fenêtre était ouverte, il la referma consciencieusement, en se promettant de parler dès le lendemain à son oncle des négligences de sa cuisinière. Il avait beau adorer Maria, on ne badine pas avec les questions de sécurité. Et il alla se recoucher, s'endormant comme un bienheureux avec le sentiment du devoir accompli. En oubliant complètement Claude au passage, qui allait bientôt se trouver en grand danger...

Celle-ci, pendant ce temps, marchait aussi vite que la pente le lui permettait. Elle avait le cœur qui battait vite – à cause de l'effort physique, voulait-elle croire. Mais elle avait quitté le village depuis longtemps, et les arbres autour du sentier se faisaient de plus en plus noirs et menaçants. Dagobert, qui n'avait aucun mal à suivre sa maîtresse, pointait le museau et les oreilles dans toutes les directions, grognant de temps en temps. « Ce sont les bruits de la nuit qui l'inquiètent » pensa Claude. « Il n'est pas habitué à la montagne. » Elle non plus, d'ailleurs... Malgré elle, la courageuse petite fille ne pouvait s'empêcher de penser à toutes les histoires que leur avait raconté Jean, le fils du montreur... d'ours... Et à celles d'Albert, le père des éleveurs quand ils l'avaient rencontré à Fraguet... Elle força ses jambes à accélérer le rythme, pour sortir au plus tôt de ces bois. Elle regrettait la mer...

Arrivée au champ de myrtilles, elle s'accorda une pause, pour souffler un peu. Elle sortit alors de sa poche la boîte de médicaments de son père et les restes des petits gâteaux à la viande que Maria leur avait servis au dîner et qu'elle avait pris soin de prendre dans le frigo avant de quitter la cuisine, sans même une pensée coupable pour Mick qui allait certainement se faire passer un savon d'anthologie pour ce larcin alors qu'il était, pour cette fois, complètement innocent. Elle fourra rageusement une bonne dizaine des petits comprimés dans chaque gâteau. « Si avec ça ils osent encore me montrer les crocs, ces dangers publics... » Chaque gâteau aurait endormi un éléphant. Elle soupira et se tourna vers Dagobert :

- Qu'est-ce que je suis en train de faire, mon vieux Dag ? murmura-t-elle.

L'intelligent animal ne la quittait pas des yeux, semblant réellement comprendre ses paroles.

- Dans quel pétrin inutile me fourre-je encore ? ajouta-t-elle non sans raison, pensant à ses précédentes aventures...

Mais il était trop tard pour reculer, et Claude était de surcroît bien trop fière pour cela. En soupirant derechef, et maudissant son caractère qui la poussait à prendre toujours plus de risques, elle se remit en route, un Dagobert toujours inquiet et silencieux sur ses talons. Elle n'eut aucun mal à se repérer, par cette nuit sans nuages. Elle regrettait d'ailleurs de ne pas avoir pris un deuxième chandail, car le fond de l'air était frais, et maintenant qu'elle avançait plus précautionneusement, la brise qui séchait la sueur de ses vêtements la glaçait jusqu'à l'os. A l'ubac (1), une chouette poussa un hululement sinistre...

Parvenue au piton rocheux derrière lequel il fallait tourner, elle avança encore plus lentement, si c'était possible. Elle faisait particulièrement attention à ne pas glisser sur les cailloux du sentier. Ce n'était pas le moment de se fouler une cheville. Un bruissement soudain, à quelques mètres d'elle, la fit sursauter et elle faillit en perdre l'équilibre. Heureusement, elle se rétablit et se réprimanda intérieurement de son accès de froussardise. Jamais elle ne racontera à quelqu'un qu'elle avait si peur ! Elle était l'intrépide Claude Dorsel, oui ou non ? La main sur le collier de Dagobert, elle essayait de faire abstraction de tous les bruits de la nuit. Et enfin, ce qu'elle attendait arriva. Les poils de son chien se dressaient sous son collier. Presque instantanément, les aboiements qui les avaient tant effrayés, elle et ses cousins, en plein jour, retentirent avec une force décuplée dans le relatif silence nocturne de la montagne. En espérant qu'il y aurait assez de gâteaux pour tous ces molosses, elle lança ces derniers dans la direction approximative du bruit et redescendit le plus vite possible en direction du piton rocheux, qui semblait comme la limite tacite du territoire que les cerbères gardaient. Le vacarme des aboiements cessèrent en effet peu après. Les chiens s'étaient-ils endormis ? Avaient-ils réveillé leurs maîtres ? Claude frissonna à l'idée de ce que l'homme ténébreux pourrait faire à une enfant qu'il trouverait fouinant dans son repère au beau milieu de la nuit. Bah ! il lui suffisait d'être discrète et de ne pas se faire prendre, voilà tout ! Elle attendit encore une quinzaine de minutes, puis se décida à reprendre l'ascension, la main toujours sur l'échine de son chien. Mais arrivés à l'endroit fatidique, il semblait qu'elle put continuer sans ennuis. Dagobert restait calme.

La voie des contrebandiers était enfin libre.

Claude se permit alors un sourire, le premier depuis que la jeune intrépide était sortie de son lit. Ça y était ! C'était l'aventure, et elle y était jusqu'au cou ! En renversant la tête en arrière pour respirer silencieusement l'air de la nuit, elle se fit la réflexion soudaine qu'elle s'était ennuyée à mourir depuis le début de ces vacances. A l'instant, entre des chiens monstrueux (peut-être) endormis et un nombre indéterminé d'hommes patibulaires (sûrement) armés... elle se sentait bien. Tout simplement.

Tous ses sens en éveil (sauf le bon – le bon sens...), elle continua le semblant de chemin, Dagobert imitant par habitude tous ses mouvements. En étant le chien du Club des Cinq, c'était devenu une sorte de réflexe. Ils l'avaient entraîné dans tellement de situations invraisemblables auxquelles il n'avait jamais compris grand'chose !... Il n'avait peut-être pas de pedigree, mais il lui a fallu très peu de temps pour comprendre quand se taire et quand attaquer. Sa maîtresse lui avait posé la main sur l'échine en disant « Chut... » Et l'intelligent animal avait immédiatement adopté lui aussi une démarche de Sioux.

Au bout de quelques minutes de montée, Claude aperçut ce qui semblait être, dans la pénombre, l'entrée d'une caverne. Mais bien entendu ! Les anciens chemins de la Résistance passaient sous la montagne ! C'est pour cela qu'ils sont presque indétectables. Il suffisait de bien camoufler l'entrée et la sortie. Et hop, encore un mystère de résolu au crédit du Club des Cinq ! Mais la fillette se figea très vite dans son autocongratulation... Dans le silence de la nuit, des voix lui parvenaient de l'intérieur de la montagne. Elle se rapprocha de l'entrée de la caverne, et se camoufla tranquillement derrière un rocher pour écouter la conversation. Elle était à peine à quelques mètres des sinistres hors-la-loi.

- Bon, je crois qu'on a tout reçu, non ?

La voix était rude, profonde et bourrue. Celle qui lui répondit était plus nasillarde, mais contenait tellement de méchanceté qu'elle faisait froid dans le dos :

- Oui, la livraison de ce soir était la dernière avant le mois prochain. Il ne reste plus qu'à redescendre les sacs jusqu'à Foix...

Claude frémissait de bonheur. A quelques pas d'elle, il y avait et les contrebandiers, et la marchandise de contrebande. Quel beau coup de filet ! Si seulement elle avait quelque chose pour les arrêter, ici, maintenant... une escouade de gendarmes, ou bien une paire de menottes, ou à la rigueur un plan d'action ! Mais elle n'avait rien de tout ça. Rien du tout. Elle avait Dagobert. Faisant totalement confiance en son chien, la fillette s'élança bravement hors de sa cachette en criant :

- Vous êtes faits, mes gaillards !

Il faut lui accorder qu'elle récolta au moins deux secondes de stupeur, à mettre sur le compte de l'effet de surprise. Les deux hommes la regardaient, les yeux écarquillés. L'un était le grand basané, celui qu'elle avait déjà croisé à Lanes. Il sembla la reconnaître également :

- Qu'est-ce que tu fiches ici ??

Ah c'était à lui qu'appartenait la voix profonde et bourrue, nota tranquillement Claude dans son mémo personnel. L'autre devait alors être le pervers nasillard... Elle se tourna vers lui pour le détailler plus à son aise. Petit, blond, un air méchant sur le visage, il avait un genre de bec-de-lièvre et des cheveux filasses. Il était vraiment laid. Et ça ne s'arrangea pas lorsqu'il éclata de rire, découvrant des dents jaunes mal plantées :

- Un petit garçon et un chien ! C'est ça, la police moderne ?!

Il l'avait prise pour un garçon. Claude se rengorgeait. Elle adorait quand les gens se méprenaient sur ce point :

- Dag, je m'occupe de lui, maîtrise l'autre !

Du coin de l'œil, il lui sembla voir Dagobert qui hésitait, l'air interdit, tandis qu'elle s'avançait résolument vers le petit contrebandier blond qui l'attendait, un sourire en coin. Elle lui porta un coup décidé à l'estomac. Il eut la politesse de faire semblant de se plier en deux. Ou peut-être était-ce pour mieux saisir Claude à bras-le-corps et la percher négligemment sur son épaule. Il interpella son collègue :

- Hé ! Il est passé où, le sale cabot ?

L'autre lui répondit en haussant les épaules :

- J'en sais rien, il a filé sans demander son reste. On fait quoi du gamin ?

- Bonne question. Je vais ligoter là-derrière pour le moment. Peut-être que les Espagnols seront intéressés ? Ça pourrait être une monnaie d'échange intéressante pour un sac de clopes ou deux en plus...

- Mmm... On sait jamais, tu as raison, garde-le au frais. Je vais voir ce qui est arrivé à mes chiens.

Claude se débattait tant et plus, mais l'homme, en dépit de sa petite taille et de ses cheveux filasses, était rudement fort. Il l'emmena facilement dans un recoin de la caverne et la jeta sans ménagements sur le sol. Il déroula un bout de ficelle d'autour de sa taille.

- Alors, petit ! On est plus très bavard soudainement... C'est dommage, tu m'as bien fait rire, tout à l'heure ! Tu veux pas me la refaire, là : « Vous êtes faits ! ». Ah c'était vraiment bon...

Tout en ligotant solidement les mains et les pieds de Claude qui gardait obstinément les lèvres serrées et le regard fixe, il continuait son monologue :

- Dans mon métier c'est pas souvent l'occasion de rigoler, vraiment. Et tu as pu voir que mon copain Manuel Ibanez là, c'est pas exactement un boute-en-train. Oui, même s'il est français, il a des origines espagnoles.

Claude commençait à jubiler intérieurement, bien qu'elle s'appliquât à n'en rien laisser paraître. Le méchant était bavard. Les méchants sont toujours trop bavards...

- Ça doit être de là qu'il tient cette sévérité. J'ai vu sa famille, de Badalona, à côté de Barcelone. Ce sont eux qui nous fournissent une fois par mois toujours à la même date – c'était hier – alors forcément, parfois on se croise. Eh bah j'ai jamais vu une collection pareille de pierres tombales !

La fillette s'appliquait à bien tout retenir. Après il n'y aura plus qu'à sortir de cette caverne et courir prévenir les autorités pour qu'ils démantèlent tout le réseau ! Parfois, l'aventure, c'est presque trop facile, se dit Claude, ficelée comme un saucisson par un contrebandier prêt à tout sur le sol d'une caverne humide dont personne ne connaissait l'emplacement au sommet inaccessible d'une montagne rocheuse, en plein milieu de la nuit, seule et personne ne sachant où elle était exactement. Les bandits sont trop bêtes, c'en est presque dommage. Franchement.

- Alors moi j'essaie de garder la joie de vivre, tu vois petit ? Je me dis : « André Dubois ! Ne te laisse pas gagner par la morosité ambiante ! Pense plutôt aux fêtes de Pamiers, ta ville natale où tu habites encore aujourd'hui, et souris ! Souris, André Dubois ! »...

Il avait fini de ligoter Claude. Cette dernière testa la solidité de ses liens. Elle avait déjà été attachée des dizaines de fois au cours de leurs aventures, alors elle pouvait dire que le drôle savait y faire. Les liens étaient parfaitement serrés, parole d'experte.

Et pendant ce temps, sur la route qui descendait vers le village, le brave Dagobert courait, courait à perdre haleine...


(1) Versant orienté nord de la montagne. L'adret : versant orienté sud.

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