samedi 5 juin 2010

"C'est de pire en pire : sauf votre respect, il a chanté l'hymne autrichien"

Avec toutes ces histoires de vampires, de quêtes en 15 tomes et de magie tellurique millénaire, j'ai apprécié le retour à une littérature disons plus... classique.

C'est dans ce contexte que j'ai découvert Le Brave soldat Chveïk (1921), de Jaroslav Hasek. Et j'en suis bien contente.

Le héros qui donne son nom à l'ouvrage est un 'bon gars', un imbécile réellement limité mais qui se donne avec coeur et optimisme à tout ce qu'il fait.
L'histoire se passe en République Tchèque, ou ce qui en tenait lieu à l'époque (l'Autriche-Hongrie, si j'ai bien compris) et débute en 1914 à l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand. 
Affrontant toutes les situations avec l'enthousiasme et la débilité qui le caractérise, Chveïk va être trimballé d'institution en institution, et toutes vont en prendre pour leurs grades, globalement et dans les détails : le système et les hommes, respectivement leur absurdité et leurs petitesses.

L'armée, d'abord. Les militaires sont désemparés devant le patriotisme de Chveïk qui veut absolument partir au front et gagner cette guerre.
Tout d'abord, ils le croient fou et l'envoient en asile. Chveïk/Hasek en profite alors pour tourner en dérision les institutions psychiatriques. Le brave soldat, lui, s'y trouve bien :

"Sérieusement, je ne comprendrai jamais pourquoi les fous se fâchent d'être si bien placés. C'est une maison où on peut se promener tout nu, hurler comme un chacal, être furieux à discrétion et mordre autant qu'on veut et tout ce qu'on veut. Si on osait se conduire comme ça dans la rue, tout le monde serait affolé, mais, là-bas, rien de plus naturel. Il y a là-dedans une telle liberté que les socialistes n'ont jamais osé rêver rien d'aussi beau."

Mais finalement, convaincu comme simulateur, on l'envoie en prison. Un lieu horrible et glauque où, finalement, Chveïk est la seule lumière pour le lecteur (ce qui, pour un 'imbécile épique', est un genre de performance).
De là, il atterrit comme ordonnance d'un espèce de prêtre alcoolique et dépravé, et Hasek désacralise joyeusement un certain nombre de dogmes et de mythes catholiques.
 
Vous avez compris le principe de cette ballade, au cours de laquelle on croise des personnages secondaires savoureux (ah le simulateur qui, pour ne pas aller au front, tentait de faire croire qu'il avait une jambe plus courte que l'autre d'un bon décimètre !), croqués d'une plume acide et tendre qui m'a fait sourire et pouffer à de nombreuses reprises. J'ai une sympathie particulière pour le juge d'instruction Bernis, qui a un peu le même système de rangement que moi :

"Le juge d'instruction Bernis était très mondain ; charmant danseur et au demeurant fêtard passionné, il s'ennuyait énormément au bureau et passait son temps à composer des vers d'albums, pour en avoir toujours d'avance. C'était lui le pivot de tout l'appareil de cette justice militaire ; sur son bureau s'amoncelaient des documents d'affaires en suspens et des paperasses dans un état de confusion inextricable. Sa manière de travailler inspirait le respect à tous les membres du tribunal militaire du Hradcany. Il avait l'habitude de perdre les actes d'accusation et au besoin les inventait de toutes pièces. Il embrouillait les noms et les causes des accusés et n'agissait jamais que par lubies. Il faisait condamner les déserteurs pour vol et les voleurs pour désertion. Il fabriquait aussi avec rien des procès politiques. Il était capable des tours de passe-passe les plus compliqués et s'amusait à accuser les détenus de crimes auxquels ils n'avaient jamais pensé. Il inventait des outrages de lèse-majesté et, quand il égarait le dossier, s'empressait de suppléer les paroles subversives." 


Bien sûr, c'est cruel. La justice, la police, l'armée et l'église, et les hommes, rien ne sort indemne de cette errance absurde et féroce. Ce roman, anarchiste et drôle, est avant tout un grand pamphlet anti-militariste (rappelons qu'il a été écrit juste après la Grande guerre) qui fait froid dans le dos.

Le Brave soldat Chveïk n'a pas vraiment d'histoire, c'est plutôt une suite de tableaux, à picorer de temps en temps, à abandonner puis à reprendre.
Les tchèques sont, paraît-il, persuadé de tenir avec Chveïk 'leur' Don Quichotte.
Quant à moi, j'ai plutôt pensé à du Courteline.
Mais c'est peut-être parce que je n'ai jamais lu Cervantès...

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