mercredi 26 novembre 2008

Faits divers : avril 1966

A l'époque, on ne faisait pas trop de blagues de cul dans les couloirs des ministères...

Conséquence du baby-boom et des « millions de beaux bébés », le nombre de jeunes (et d'étudiants) explose. Rien n'est prêt, institutionnellement et mentalement, pour les accueillir. J. F. Sirinelli a très bien décrit les effets de cette explosion démographique (SIRINELLI, Jean-François, Les Baby-boomers. Une génération 1945-1969, Paris, Fayard, 2003, 325 p.) : une nouvelle classe d'âge se créée. Le statut d'étudiant, plus un enfant pris en charge par la famille et pas encore un travailleur indépendant, concerne maintenant un nombre assez significatif de personnes pour que cela puisse changer la face d'une société. Mais quelques progrès dans les mentalités sont encore à faire...

Dans ces affreuses résidences étudiantes, bâties à la va-vite pour faire face au nombre, le règlement est clair et c'est partout le même, grosso modo : les filles peuvent rendre visite aux garçons, mais les garçons n'ont pas le droit de rendre visite aux filles... (je m'étais expliquée ailleurs sur cette iniquité, tellement « signe d'une époque » !).

Le pavillon de la Suède, à la Cité universitaire de Paris, est devenu « mixte » à la rentrée 1965. Il n'accueillait auparavant que des garçons, mais il s'est avéré, ô surprise, que les filles voulaient elles aussi pouvoir faire des études internationales... Alors on leur a réservé un étage du pavillon, fermé par une porte dont seules les résidentes possèdent une clé (et le directeur aussi, ah ah !). Dans la foulée, on a promulgué un nouveau règlement, les cités étudiantes n'étant pas destinées à devenir des lupanars, quand même ! qui stipule que les résidentes ne peuvent recevoir de visites masculines sans l'autorisation spéciale du directeur, mais que les résidents, en revanche, peuvent recevoir des visites féminines entre 12h et 23h.

L'heure est à la contestation étudiante, aux revendications existentielles de cette nouvelle classe d'âge qui ne veut plus être pouponnée comme à l'école élémentaire. Les étudiants suédois, le 22 mars 1966 (amusante concordance des dates, non ?) ont organisé une AG et ont décidé de « refuser ces règles archaïques ayant suscité de nombreux conflits » et ont demandé leur abrogation au conseil d'administration du bâtiment suédois.

Attention, c'est là que ça se corse. Quelques jours après l'AG, la femme du directeur a surpris un étudiant, Leif Biureborgh, à l'intérieur de l'étage des jeunes filles. Que venait y faire ce petit excité ? Eh bien il se trouve que c'était la grève des postes. Il était donc venu remettre la motion de protestation votée en AG à une jeune fille travaillant à l'ambassade de Suède pour qu'elle la transmette à l'ambassadeur. Cette jeune fille étant absente, il a remis sa lettre à Birgitta Oloffson. Et c'est là que – imaginons – la matrone ouvre la porte de la piaule à toute volée et surprend les deux pêcheurs en pleine remise de lettre. Le lendemain, le directeur annonce à ces étudiants qu'ils sont renvoyés de la Cité et ont quinze jours pour trouver une chambre ailleurs parce qu'ils avaient violé le règlement. Les étudiants ont fait appel devant le conseil d'administration du pavillon suédois et devant le délégué général de la Cité. L'histoire ne dit pas s'ils ont obtenu gain de cause ou s'ils sont retournés militer pour les libertés individuelles dans leur pays.

Je tiens tout de même à ajouter que ces gamins sont âgés de 27 ans pour le jeune homme et 22 ans pour la jeune fille...


(source : Le Monde, 8 avril 1966)


J'adore ces faits divers, racontés tranquillement dans le style si caractéristique du Monde de cette époque. Que cachent donc ces mots ? Le journaliste ne s'est pas trop fait suer à enquêter pour son article. Il ne nous reste plus que les suppositions, à nous bâtir des scénarii... Personnellement, le coup de « je voulais remettre une lettre pour l'ambassadeur à une copine et manque de pot, elle était absente et oh ! mais qui aperçois-je au fond du couloir ? Birgitta, ma petite amie, quel hasard... », moi j'y crois pas trop. De plus, je me dis que le directeur devait bien être content de pouvoir virer des étudiants engagés dans la lutte contre un règlement obsolète pour les uns, nécessaire plus que jamais pour les autres. Parce que franchement, virer pour remettre une lettre pendant la grève des postes, c'est la première fois que je croise une excuse qui sonne autant bidon...

Par contre, je me demande bien ce que vient foutre dans ce bordel la femme du directeur... Son rôle me paraît louche... A moins qu'elle ne passe son temps à arpenter les couloirs de l'étage des filles et que nos deux zigotos ne s'envoyaient en l'air contre un mur dudit couloir, je ne vois pas trop comment elle aurait pu les surprendre... Le directeur, à mon avis, a dû la mandater d'une quelconque manière... Peut-être qu'elle épiait ce jeune homme, l'a laissé entrer pour soudain (tadam ! ) le surprendre en flagrant délit.


Bref, cette anecdote m'a amusée, pour plusieurs raisons : la concordance des dates, l'âge des protagonistes, le ton imperturbable du journaliste... Elle peut en outre faire figure « d'événement analyseur » d'un petit bout, un petit champ social, de la société d'alors. La guerre est ouverte entre deux générations, deux époques.


L'Université Paris 8 organise un concours de nouvelles dont le thème est « A l'Ouest ». Il me donne quelques idées, ce pauvre directeur confronté à une fronde venue du Nord...



2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore ça quand tu rembobines le fil. Si ta thèse est du même tonneau, on va se régaler.(Je pense que la femme du dirlo faisait des visites pour vérifier si ça triquait dur dans les couloirs des garçons)

louise miches a dit…

Non, hélas, je réserve les parties chiantes pour ma thèse...