lundi 25 juin 2007

l'écriture de la recherche : René Lourau

L’écriture de la recherche est toujours un moment très violent. Il est difficile, et souvent décevant, d’écrire ce que l’on pense penser ou pense avoir trouvé. A l’issue de l’exploration d’un sujet, et même si une problématique en béton semble transcender le tout, on a forcément en tête un schéma à au moins trois dimensions. Il peut y en avoir quatre si on rajoute le temps, et cinq si on refuse de fermer les yeux sur " l’intuition ", ce domaine sombre et sensible des rapports entre le chercheur et sa recherche. Et au bout d’un moment, il faut toujours s’y coller, et on se retrouve à suer sang et eau pour aplanir tout ça en deux dimensions, en un raisonnement clair et qui s’enchaîne, alors qu’on préférerait faire des dessins avec des flèches partout, ou au moins pouvoir esquisser un genre de quipu.

J’aime beaucoup René Lourau, pas seulement comme auteur universitaire dont je m’inspire pour mes recherches, mais aussi comme écrivain, tout simplement. Je l’ai découvert par L’Analyse institutionnelle, qui est la publication de sa thèse d’Etat, un peu rude comme première lecture (il reprend Hegel, Castoriadis et Freud…).
Pas découragée, j’ai été éblouie (c’est le mot) par L’Etat-inconscient :

"Courbe-toi, fier Sicambre !" Ici commence, avec la légende de Clovis, roi des Francs, recevant le baptême chrétien, l’histoire de la domination telle que se la racontent dans les collections ad hoc ou en collections de poche les chiens que nous ne sommes pas encore (p. 33) […]
Sous les coups de marteau sauvages de la politique, les rapports sociaux portés à incandescence ont été courbés. La révolte peut les redresser. Le Fier Sicambre ne reste pas toujours sourd à la voix de la résistance qui, en forme de contre-pet, lui propose tout bas de remettre son existence à l’endroit : "Cambre-toi, fier si courbe !" (p. 41)


Disons qu’il est très clair dans ce livre que René Lourau choisit de ne pas réduire sa recherche à l’écriture scientifique, normée : il entraîne le lecteur au long des méandres de sa pensée, sorte de fausse écriture automatique. (Ce qui peut avoir, à la longue, un côté fatiguant. Il semble parfois manquer de rigueur et dissimuler derrière un tour de passe-passe poétique une incertitude du raisonnement. Mais pour ma part, je lui pardonne de bon cœur). Pour la même raison, il fait toujours en sorte que le contexte de l’écriture de sa recherche soit transparent. Le lecteur est ainsi invité à comprendre la manière dont la vie du chercheur influence sa recherche : (toujours dans L’Etat-inconscient, p. 22)

Rêve d’un instrument d’analyse susceptible d’objectiver l’Etat comme lui-même m’objective, combat du pot de terre contre le pot de fer – " Eh ! René, il faudrait éteindre sous la bidoche ! " lance Françoise depuis le premier étage. Je me lève et vais éteindre le gaz ; je reviens m’asseoir à ma machine : comment l’Etat distribue-t-il les rôles conjugaux, les moments de la vie quotidienne, la gestion de la maison, éco-nomie ?

Pour ceux que ces histoires d’implication intéressent, je vous renvoie à un article de René Lourau hallucinant que j’ai trouvé dans BASAGLIA, Les criminels de paix, p. 177, intitulé " Travailleurs du négatif, unissez-vous ! " qui a peut-être été publié aussi dans une revue, il m’avait déjà semblé l’avoir lu quelque part. Cet article a été écrit alors que des travaux étaient en train de se faire dans la nouvelle maison du couple Lourau, alors il y a un plombier, sa femme, les ouvriers du téléphone, etc. Lourau parle d’eux dans son texte, comme une histoire parallèle à côté de sa réflexion et de l’article proprement dit. Mais au fur et à mesure on comprend comment ce contexte incline sa recherche, et à la fin de l’article évidemment il retombe sur ses pieds et là on se dit qu’il n’aurait jamais atteint cette conclusion sans l’intervention de la femme de son plombier…

J’ai rencontré il y a pas longtemps une étudiante qui a fait son DEA avec René Lourau.

Aucun commentaire: