lundi 11 juin 2007

soirée écossaise, deuxième partie

Et voilà la suite de l'histoire, que mes trois lecteurs (deux ?) attendent avec une impatience non dissimulée (je suis très perspicace...). J'ajoute ici à l'attention de ces lecteurs et des éditeurs potentiels, que c'est une histoire inventée presque au fur et à mesure, et qu'elle sera soumise à des retouches d'ordre général lorsqu'elle sera terminée.
Sur ce, bonne lecture !


La pluie tombe de plus en plus dru. Même les traditionnels clodos des Halles ont disparu. Quelques passants courent ça et là vers des abris provisoires ou définitifs à défaut d’auspices meilleurs, le vent qui se lève donne à l’ondée une allure de vague, une forme de rideau, ou de… Réfugié dans la cabine téléphonique, Xuc a vaguement le blues. Ses fantômes se sont fait la malle avec le dernier carré de ciel bleu, et la cabine téléphonique a une fuite dans le toit. Il reçoit des petites gouttes sur la tête, comme dans le célèbre supplice chinois. Mais curieusement, ça le soulage plutôt ce plic-ploc sur, et dans son crâne. L’eau lui coule dans le cou, mais il est déjà trempé, de toutes manières. Il se demande comment Jay va faire pour le rappeler, peut-être à la cabine ? De toutes façons, il ne peut pas se risquer à aller à pied chez Louise avec ce temps. Il cherche désespérément dans les recoins de son cerveau fertile son fantôme n°3, le plus débrouillard, le petit combinard, le plus malin, qui serait susceptible lui au moins d’avoir une idée de génie pour le sortir de là. Impossible en plus d’appeler Louise, il a flingué sa carte téléphonique en appelant un portable (ça coûte 3 unités au lieu d’1, un vrai scandale !), et il n’est pas encore passé à la Carte bleue. Il a promis de s’en occuper un jour, mais il faut d’abord qu’il s’inscrive à la Sécu, et cet aspect de ses relations avec la normalité sociale lui a semblé plus important que des trucs de cartes bancaires. Et donc, pas trop de paperasse à la fois… Il a le temps de remâcher toutes ses erreurs passées, de dire : " si j’avais su ", " si je pouvais "… Il est un peu seul au monde, dans sa cabine téléphonique fièrement dressée sous la pluie battante, sur une sorte de trottoir qui est en train de se transformer en torrent, charriant des hectolitres d’eau sale de la saleté de la capitale. La cabine n’est pas étanche, la pollution parisienne sous forme liquide rentre par les trous des Doc de Xuc… Il ne peut quand même pas sortir, ce serait stupide, si Jay appelle !
- Jay, appeler ?
C’est fantôme n°4 qui rigole dans sa barbe.
Il ne peut tout de même pas sortir, ce serait de la folie…
- Eh mon gars ! tend l’oreille !
- N°3 ?
- Ecoute, bon sang !
A ce moment précis, Xuc entend une vague rumeur qui monte par la rue Rambuteau, surpassant de son inquiétante intensité le terrible déferlement de l’orage…


Le sous-chef de cabinet du service Produit d’une grande chaîne d’électroménager internationale est présentement dans le couloir, face à la porte fermée à double tour de l’extérieur de son bureau. Il est en bras de chemise, ayant quitté un peu précipitamment la pièce, il n’a eu que le temps de saisir son baise-en-ville. Il frappe doucement à la porte.
- Mademoiselle… Vous êtes là ? Ecoutez, il se fait tard, je vais devoir y aller, mes amis m’attendent. Merci beaucoup pour la jupe, je vous la rend demain. Comme vous semblez vouloir aller vous coucher, j’ai pris la liberté de prévenir l’accessoiriste du service Relation avec les gros clients de monter vous préparer un lit. Mademoiselle, ça va ?
Et comme Jay, ça c’est un homme, il ajoute :
- je vous laisse ma veste. Mettez-la donc si vous avez froid…
Il descend en sifflotant au parking. Il s’amuse à faire le chemin les yeux fermés. Il démarre la bagnole, Ouï FM à fond. Il ouvre les yeux pour sortir du parking, parce qu’il ne faut pas déconner quand même.
Il salue le gardien du parking quand il passe en trombe devant sa guérite.
- Mes amitiés à votre femme ! il lui jette par la fenêtre grande ouverte, un peu inquiet quand même parce que le gardien le regarde d’un air féroce. Comme les flics et les avocats, il est toujours bon d’avoir un gardien de parking parmi ses relations.
Jay –AKA Sex Much- se cale son kit piétons dans l’oreille. Au feu rouge –car c’est un conducteur prudent –il compose un numéro pourtant préenregistré.
- Fried ? c’est moi !… T’es chez Louise, là ?… Ah, dans cinq minutes, je vois… Ecoute, je viens de partir du bureau, j’ai été retenu par un petit incident… Je suppose que tu es avec Xuc ?… Quoi ? mais il m’a dit qu’il était aux Halles… Très juste… Bon, bah du coup je sais pas à quelle heure j’arriverai.
D’un coup de volant, Jay fait demi-tour en franchissant une ligne blanche. Direction les Halles. Il appuie sur l’accélérateur. Tant pis pour la pluie, quand un ami est dans le besoin, on fait rugir la Muchine ! Jay se sent légèrement grisé par la vitesse. Il était en train de fouiller sous son siège, à la recherche de la bouteille de Mélange Spécial soirée étudiante qui devait être dans le coin, lorsqu’il est obligé de freiner sec, dans un crissement de pneus du plus bel effet. L’entrée du périph’ est complètement bouchée, elle dégorge de bagnoles, impossible de passer. Jay s’apprêtait à faire admirer à toute la banlieue nord sa célèbre marche arrière, lorsqu’il s’aperçut que des couillons étaient venus s’agglutiner juste derrière lui. Il était bel et bien : coincé dans les embouteillages !
- Ouais, Fried (voix d’outre-tombe)… c’est encore moi… je suis coincé dans les embouteillages… Ouais bon ça va : je suis coincé dans ces saloperies d’embouteillages !… Quoi, quelle grève générale ?… Merde, écoute, tu peux dire à Xuc de patienter, j’arrive aux Halles dès que je peux. Il peut compter sur moi ! (dit-il en serrant les poings et en écartant une mèche rebelle de son front pur)… Mais comment ça t’es pas avec lui ?

Chez Louise.
- ils n’arriveront jamais, ils n’arriveront jamais !
- mais si, ils arriveront, je te le promets…
- mais non !
- mais si…
Pour la première fois depuis trois ans, Ernesto est bien content d’être célibataire. Au lieu de suivre cette passionnante conversation entre Antoine et Louise, il extirpe son téléphone portable du fond de son sac à dos où il l’avait planqué (Louise avait dit : pas de portables, on est entre nous, on est en Ecosse, et en Ecosse, les portables français ça passe pas). 13 sms. 9 messages voix. Il se passe un truc. Il pianote comme un fou.
- tu me prends pour une gamine !
- mais non, arrête, je te prends pas pour une gamine, qu’est ce que tu dis ?
- arrête de répéter tout ce que je dis !
- mais je répète pas tout ce…
- Louise !
C’est Ernesto qui fait irruption, les yeux hagards, dans la cuisine.
- Louise ! c’est la grève générale !
Il a le portable à l’oreille. Antoine objecte :
- bah oui, je l’ai entendu sur Europe 1 en allant au boulot ce matin. Il en ont parlé hier soir aussi, vous étiez pas au courant ?
Louise redresse la tête, un quart de sourire qui commence à se dessiner au coin de ses joues inondées :
- Ernesto ?
Il sourit pareillement.
- c’est la grève générale !
Antoine est un peu paumé :
- bah oui, c’est pour protester contre la politique sociale, enfin la loi sur les finances du nouveau gouvernement...
Ernesto commence à avoir un peu pitié :
- c’est la grève générale, la vraie. Tout le pays est paralysé, les gens sortent dans la rue, les transports n’ont pas repris à 20h, j’ai un pote qui est à Gare du Nord, il me dit qu’il pique-nique sur les voies avec les cheminots. C’est la grève générale ! Tout le monde descend en manif !
- En manif ? Il pleut !… Louise ?
Louise est dans sa piaule. Trois secondes plus tard, elle en ressort en tenue de combat : anorak, short et collants noirs. Un foulard autour du cou. Elle enfile ses pompes de rando. Ernesto saute sur place, le portable toujours à l’oreille :
- les NMPP ont débrayé aussi ! Y font des feux de joie avec les éditions de demain et se grillent des clopes avec les journalistes ! Y aura plus de Figaro ! !
- Louise ? qu’est-ce que tu fais ?
- Met tes chaussures, mon colon, l’histoire est en marche !
- Y me disent qu'y a un rassemblement de ouf’ à Répu !
Ernesto tente de s’habiller tout en écoutant son téléphone :
- Louise ! on va à Répu ?
Antoine :
- Répu ?... La place de la République ?
- Ça marche ! C’est tout près, et de Rép’ on pourra descendre à la Bastoche ! On l’aime bien !
Ernesto, hilare :
- Qui ça ?
- Nini peau d’chien !
- Où ça ?
Ernesto et Louise, en chœur :
- à la Bastooôôoche !
Ils sont déjà dans l’escalier.
- Attendez-moi !

Tiens, ya un changement de propriétaire au P’tit creux du Faubourg. Bah, il est à peu près pas trop en retard, il a le temps de s’en jeter un petit. Fried, c’est quelqu’un qui sait profiter de la vie. Et les derniers Ricard qu’il a bu remontent à loin… au moins une demi-heure, le temps du trajet en métro depuis chez lui. Après toutes ces émotions, il a bien le droit à un petit remontant… D’autant qu’en Ecosse, quel scandale, ils ne connaissent certainement pas le Ricard. Tsss… Feraient mieux de s’intégrer pour de bon à l’Union Européenne, on aurait des choses à leur apprendre, question savoir-vivre !
Au moment où il allait faire une démonstration en acte de la supériorité de la culture française sur la culture écossaise en entrant dans le bistrot, Fried est interrompu par la sonnerie de son téléphone. Il est de bonne humeur, il répond. C’est Jay.
- Hum ?… Non, j’y suis dans cinq minutes… Qu’est-ce que ça peut me foutre ?… Bah non, je suis tout seul… Mais je peux pas être aux Halles, je suis à cinq minutes de chez Louise ! !… T’es con, parfois… Ouais bah ok.
La vie est belle ! Jay est en bagnole, il est pas prêt d’arriver avec tous ces connards qui vont prendre le périph’ à l’heure de pointe et un jour de grève, Xuc est paumé aux Halles (mais qu’est-ce qu’il fait là-bas ?)…
- il semble donc que votre serviteur a parfaitement le temps de s’occuper un peu de sa santé…
Il pousse les portes.
- salut la compagnie ! Eh bah mon vieux, à l’intérieur au moins il pleut pas.
Il s’accoude.
- Patron ! un p’tit Jaune pour fêter ça !
- Pour fêter quoi ? lui demande un type assis sur un tabouret pas trop loin de lui.
Fried l’examine des pieds à la tête. C’est pas brillant, à moitié clodo l’ivrogne. Et vraiment pas beau, par dessus le marché.
- le fait que tous les hommes soient nés égaux, citoyen ! et toi aussi, si si ! Allez, je te l’offre, c’est pour moi ! Ah… En 92 mon gars on chipotait pas pour savoir si c’était beau ou laid, si tu sentais le cul ou l’eau de Cologne. Il suffisait d’aimer la patrie ! et on était tous frères ! Est-ce que tu es un patriote, citoyen ? à la manière dont t’as descendu ton sirop, aucun doute ! A la bonne heure ! Patron, la p’tite sœur ! Et voilà, vas-y, tête… Encore deux que les Prussiens n’auront pas.
- Ça…
- Allez, en avant citoyen ! Allons voir dans le troquet d’à côté y prendre la température du sentiment national…
Ils sortent en titubant, légèrement. La pluie s’est tellement intensifiée depuis leur entrée qu’ils ne s’attardent pas à choisir le bar. Ils rentrent dans le premier qui se présente. Fried aurait voulu aller chez Louise directement, il aurait pas pu. Avec cette pluie, c’est pas humain quand même…
Dans le bar, il réussit à convaincre deux ou trois paumés de ce que les Vendéens étaient réellement une menace pour l’approvisionnement du pays en anisette. Il est tellement convaincant qu’il réussit à s’inquiéter lui-même et convainc à son tour le patron de lui céder, à prix d’or (" c’est pas grave, ça vient de la vente des biens du clergé "), ses deux bouteilles de réserve plus celle déjà entamée derrière le bar. Et comme du coup, ils n’ont plus rien à boire, Fried et sa petite troupe, l’œil brillant et la démarche chaloupée, s’engouffrent tant bien que mal dans le bar d’encore à côté.
Ils ruissellent de flotte, mais ils sont heureux, unis dans la liesse révolutionnaire. Ils rencontrent cette fois-ci quatre paumés que la République remettra dans le droit chemin. Il y en a même un à qui " Valmy " ça dit vaguement quelque chose. Fried saute sur l’occasion, écluse son quinzième godet et l’attrappe par le col.
- Valmy, oui, mais Valmy ! mon pauvre ami ! ci-devant citoyen, reprend-toi ! Valmy n’aura jamais lieu sans la prise de la Bastille !
Il vide le verre de son voisin et grimpe tant bien que mal sur le bar, aidé par le patron qui ne veut pas le voir s’écrouler dans les bouteilles. Fried renonce d’ailleurs à se mettre debout, il comprend parfaitement que, par une absurdité technique due certainement à la gauche et aux 35 heures, le bar n’est pas droit et qu’il bouge.
Du coup, il déclame à quatre pattes (ce qui a un peu moins de gueule, mais sur l’auditoire présentement rassemblé, ça a l’air de faire son petit effet)
- Peuple français !
Il a toujours rêvé commencer un discours comme ça… Il se dresse sur les genoux.
- Peuple de France ! Citoyens ! les autres vous font des promesses, nous nous les tenons. Et je vous le dis : le 4 août nous abolirons les privilèges !
Longues acclamations, accompagnées des applaudissements polis du patron, qui commence à se demander s’il doit appeler la police ou le 115.
- mais aujourd’hui, mais maintenant, citoyens ? Des citoyens sont enfermé par les curés, les royalistes et les Prussiens dans leurs cachots au fond de la Bastille ! La République doit-elle laisser ses fils moisir dans les oubliettes corrompues d’un Ancien Régime en putréfaction ?
Quelques " ouais " pas très convaincus dans la salle… Fried en profite pour reprendre un peu de carburant.
- Je dis non ! Non ! Nous ne laisserons pas faire cette infamie ! Citoyens ! des citoyens nos frères ont besoin de nous ! Je dis : à la Bastille ! A la Bastille ! Qui vient avec moi ? Y aura des filles et du Ricard !
Dans une clameur générale, l’ensemble de la petite troupe sort fièrement du bar derrière son chef (quelque peu ecchymosé suite à sa descente du bar, rapide car enthousiaste !). Ils ne sont plus capables de tenir sur le trottoir, alors ils marchent au milieu de la route, en chantant la Marseillaise anticléricale. La Révolution vient de commencer.

Mais enfin, l'intrigue va-t-elle commencer ? Nos héros parviendront-ils à se rejoindre finalement, pour cette grande fête du kilt et de la cornemuse tant attendue ?

Vous le saurez en lisant, etc.



4 commentaires:

Anonyme a dit…

PROTESTATION AVISEE !!!

Anonyme a dit…

c'est vrai que j'ai toujours rêvé de commencer un discours comme ça
(soupir)

Zacharias Galouzeau de Moussaoui a dit…

Je pense pas avoir saisi absolument toutes les privates jokes, mais j'attends tout de même avec impatiente la suite!

Quand au CIES, c'est dur à dire, mais oui j'ai déjà subit les outrages de leurs formations, aussi instructives qu'un CROUS a du goût.

louise miches a dit…

Oh ! Zac Galou !
eh les gars, ya un comm de Zac Galou sur le blog !
Bonjour Zac galou !

(quant à moi, j'en ai pas encore fini avec le CIES, ayant eu la drôle d'idée de me présenter comme représentante... j'ai signé pour trois ans, quoi. Misère...)